Étude de générique #3 : Severance
Plongée dans un générique hypnotique, entre art numérique, symbolisme et anticipation.
🎥 Making-of vidéo du générique Severance
Le générique de la saison 2 de Severance, réalisé par Oliver Latta (alias Extraweg), repousse les limites de la narration visuelle. Grâce à une esthétique perturbante et fluide, il installe immédiatement une atmosphère inquiétante. Le générique devient une extension sensorielle de l’univers de la série, et, à bien des égards, une synthèse du scénario entier.
Workflow technique du générique Severance
Le générique de Severance est bien plus qu’un enchaînement d’images étranges : c’est une véritable performance technique, fruit d’un pipeline exigeant.
1. Modélisation & animation 3D
Maxon Cinema 4D : utilisé pour les structures de base, les animations de personnages et la mise en scène générale.
ZBrush : pour le sculpting organique des visages et des déformations.
Xsens (mocap suit) : captation de mouvements pour les déplacements réalistes des personnages.
Scan 3D d’Adam Scott : intégration fidèle de l’acteur principal.
2. Simulations et effets dynamiques
Houdini : élément clé pour les simulations complexes (fluides, déformations, métamorphoses). Permet une animation “liquide” de la chair, des objets et des décors.
3. Texturing & shading
Substance 3D Painter : texturation réaliste et procédurale, avec un travail très poussé sur les matières synthétiques et organiques.
4. Compositing
After Effects : pour les animations typographiques en motion design et l’assemblage général.
Nuke : pour le compositing de rendu haute qualité, l’étalonnage et la gestion fine de la profondeur de champ.
5. Montage & sound design
La musique et le sound design viennent renforcer la sensation de malaise et l’idée de routine oppressante. Les sons mécaniques et organiques s’entremêlent, soulignant le flou entre l’humain et la machine.
Interprétation : un résumé visuel de toute la saison 2 🌀
Le générique Severance n’est pas juste esthétique — c’est une cartographie symbolique du récit. Chaque plan devient un indice narratif :
🔹 Le corps fragmenté
Représente la dissociation entre le soi “Innie” (travail) et le soi “Outie” (vie privée). Les membres du personnage glissent, se déforment, se répètent à l’infini : c’est la boucle mentale dans laquelle les protagonistes sont enfermés.
🔹 Le bureau en suspension
Le décor flottant évoque l’illusion de contrôle dans Lumon : un univers aseptisé, hors du temps, où l’individu n’a aucune prise.
🔹 Le personnage piégé dans des liquides blancs ou noirs
Ces fluides évoquent le subconscient, les souvenirs refoulés, et la transition progressive entre les deux réalités. Le liquide devient symbole de transformation, d’éveil ou de noyade intérieure.
🔹 L’ascenseur en chute
Allégorie de la perte de repères et de l’effondrement des barrières mentales entre les deux identités.
🔹 La répétition visuelle
Les boucles d’animation renforcent la thématique du quotidien figé, de la routine dystopique, et préfigurent la lutte des personnages pour s’en libérer.

Pourquoi ce générique est un chef-d’œuvre d'animation et de motion design
Le générique Severance est un bijou d’étrangeté, aux frontières de l’inconscient et du cauchemar.
Il fonctionne comme un rêve fiévreux, où les scènes s’enchaînent sans logique apparente — un glissement constant d’un monde à l’autre, à la manière d’un rêve qui passe du coq à l’âne. Ce chaos maîtrisé reflète l’état mental des personnages, scindés entre deux réalités incompatibles.
Un mélange de styles saisissant
La beauté du générique vient aussi de son hybridation visuelle :
La 3D ultra fluide cohabite avec des textures et des mouvements qui évoquent la pâte à modeler.
Les personnages semblent malléables, déformés comme sous l’effet d’une main invisible : peut-être celle de leur propre inconscient, ou d’une entité supérieure qui manipule leur existence.
À cela s’ajoute une inspiration picturale subtile : certains plans et textures semblent sortir tout droit de peintures à l’huile, en écho direct avec les tableaux mystérieux qui jalonnent les bureaux de Lumon.
L’image devient matière. Le monde de Severance n’est plus seulement numérique — il est tactile, onirique, perturbant.
Une identité esthétique rare
Ce mélange de techniques et de styles crée un trouble : où sommes-nous ? dans un rêve, une simulation, un souvenir ?
Ce n’est plus simplement un générique, c’est une expérience sensorielle.
Extraweg réussit l’exploit de faire tenir dans une minute trente une esthétique unique, à la fois familière et dérangeante, qui hante le spectateur avant même le début de l’épisode.
Pierre LAFOUGE
